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La quête alchimique
d’Aurélie Dubois

Les alchimistes sont de retour. Bien loin de l’image du vieillard hirsute à longue barbe blanche, perdu dans le fatras de son atelier jonché de vieux grimoires, de cornues et autres compas, le portrait de l’alchimiste est en pleine refonte. L’alchimiste contemporain prend les traits composites d’une nouvelle génération d’artistes, de plus en plus nombreux à s’intéresser à l’Ars Magna et au Grand œuvre. A l’image de Aurélie Dubois, qui participe à cette curieuse transmutation. Elle aussi déploie un abondant système pileux à travers les nattes ou les tresses qui prolifèrent telles des lianes folles dans ses étonnants autoportraits peuplés d’animaux étranges et de figures difformes. Des tresses qui percent les murs de son exposition au 24Beaubourg, non loin de chez Nicolas Flamel.

Mais sont-ils alchimistes pour autant ces artistes contemporains, objecterons certains puristes ? Il est vrai que l’artiste d’aujourd’hui fait feu de tout bois. Devenu grand maître en appropriation, en citation et autres détournements, il peut s’intéresser à tous les sujets. Au risque parfois d’être partout et nulle part pour se condamner à la superficialité ou au fake comme l’on dit aujourd’hui. Dans la grande tradition, on appelle les faux alchimistes ou les alchimistes de pacotille « les souffleurs », c’est-à-dire celui qui cherche à « faire de l’or », c’est-à-dire du profit, sans être passé par l’enseignement d’un maître ou d’une forme d’initiation.

Car l’aventure alchimique a quelque chose d’anachronique avec le rythme et les usages contemporains. Elle demande un engagement total et au long cours. En particulier de l’esprit et du cœur. Ainsi qu’une véritable dévotion aux énergies de la nature. Sans parler d’un profond travail à dimension mystique et spirituelle. Autant de modalités ésotériques devenues exotiques, qui sont aux antipodes de la pensée et du vécu contemporain occidental. N’oublions pas que la culture dominante actuelle est héritée des modernes et de l’esprit des lumières qui a substitué l’humain au divin en consacrant la pensée rationnelle au détriment des cultures de l’Invisible immémoriales dont l’alchimie est une forme de quintessence. 

Dès lors qu’est-ce qui peut motiver autant les artistes d’aujourd’hui et Aurélie Dubois en particulier, à reprendre le fil d’une tradition tombée en désuétude, éradiquée et ridiculisée pour son caractère pré-scientiste ?

Précisions que le processus dans lequel s’est engagée Aurélie Dubois dès ses débuts, il y a plus de vingt ans maintenant, n’est pas sans rapports avec certaines étapes de la quête de la Pierre Philosophale. En particulier à travers ses œuvres à forte connotation érotique et sexuelle qui n’ont eu de cesse de faire jonction entre une double identité féminine et masculine qui fusionne chez Aurélie Dubois dans une identité hybride. Pour ne pas dire androgyne. Il y a effectivement une véritable tradition érotique de l’alchimie à travers la fusion de masculin et du féminin qu’elle a en quelque sorte réalisée.

C’est ce que dit REBIS, le titre qu’Aurélie Dubois a choisi pour son exposition. REBIS est un emprunt direct à la symbolique de l’androgynie dans la tradition alchimique qui est représenté par la figure de l’œuf à l’intérieur duquel se trouve un être à deux têtes, l’une masculine surmontée d’un soleil, l’autre féminine, surmontées d’une lune. Le REBIS correspond aussi à un état, ou à un stade de la quête qui passe par le mariage du roi et de la reine, c’est à dire du soufre et du mercure. C’est aussi l’étape de « l’œuvre au jaune » dénommée « Citrinitas », quand le sexe perd son pouvoir de fascination au profit d’aspirations intellectuelles, artistiques, ou spirituelles.  La figure de l’œuf renvoie également au four de l’alchimiste appelé Athanor, le creuset/matrice générateur de vie. Que ce soit au niveau terrestre et humain ou sur le plan céleste et cosmique. Car ce sont bien ces dimensions que l’alchimiste est chargé de travailler en les nourrissant de son action dans une forme de soin, d’entretien, voire de réparation de l’ordre du monde. 

Aurélie Dubois revendique cette dimension réparatrice quand elle nous dit presque naïvement qu’elle aimerait que son art puisse soigner. 

Il est clair que l’ordre du monde à bien besoin actuellement de soin et de réparation. L’art sans doute aussi d’ailleurs. C’est probablement pourquoi l’Alchimie et nombre de cultures de l’Invisible sont reconsidérées pour leurs poétiques, leur énergétique et leurs capacités de connexion à la nature et ses éléments. Car ces cultures ont aussi la faculté de permettre à l’homme de se repositionner dans l’univers et d’y trouver une juste place. Les artistes qui développent un travail dans ce sens à l’heure actuelle sont importants et précieux. Comme Aurélie Dubois qui incarne magnifiquement cette voie dans une entreprise qui a également à voir avec la survie.

 

OR et LIE !

 

 

Pascal Pique,

Le Musée de l’Invisible 

2019

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