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interview
Marteau pie coeur #1

Propos recueillis par

Clotilde Scordia 

octobre 2020

Aurélie Dubois est une « Artiste de garde », selon l’appellation définie par l’Écrivain et Psychanalyste Daniel Androvsky, car l’artiste est en veille permanente de thèmes récurrents dont elle a fait son corpus : animaux, réprouvés, folie, sexe, transgenre, pulsions, symbolisme… Autant de sujets qui fondent l’essence même de la Vie mais qui gênent, perturbent notre regard car ils montrent ce que nous ne voulons voir. En s’imposant à nous, l’œuvre d’Aurélie Dubois a pour volonté première le déclenchement d’une réflexion, d’une remise en question insidieuse et tenace de notre mode de pensée, notre mode de vie. Bien avant la mode écolo actuelle, Aurélie Dubois a fait du bien-être animal et du respect de la Terre son cheval de bataille (Je ne veux pas que les animaux meurent). Il en va de même des sujets portant sur l’identité sexuelle et la transidentité. À travers son avatar d’Human Behavior dans The Corridors, l’artiste appuie là où ça fait mal/mâle. Lui faisant prendre mille poses qui interrogent l’identité, l’âge, le sexe, la folie ou les pulsions, Human Behavior semble cristalliser tous les questionnements de l’artiste. En affirmant « Je vois ce qui ne s’entend pas. J’entends ce qui ne se voit pas », Aurélie Dubois ré-affirme son rôle de gardienne d’une Humanité et de pythie, tout en nous mettant en garde contre nos folies destructrices et notre inconscient mortifère. L’Éros doit triompher de Thanatos pour vivre. 

Rencontre. 

 

Qu’est-ce qu’être une Artiste de garde ? 

Je pense au mot « regarder » que l’on peut entendre comme « toujours voir » mais aussi comme « toujours garder », répéter cette idée de choses vues. Il s’agit d’être en état de veille permanent à toutes les valeurs qui me sont chères, à mes convictions profondes : les lois du cœur, l’humanisme, mettre en avant que les humains, les animaux, les végétaux, les minéraux, les éléments, la Terre et tous ceux qui l’habitent sont des citoyens du monde et pas seulement des gens ou des choses à ranger dans des cases pour en faire des types A, B, C… Une comptabilité qui tend à nous rendre intolérants. 

L’idée de la garde artistique est d’être en prise avec la Réalité et non pas la Vérité finalement. J’ai beaucoup parlé de Vérité jusqu’à présent mais je préfère le terme de Réalité car on y trouve aussi bien le Bien que le Mal et il faut en être conscient. C’est parce que ces deux notions sont présentes que l’on trouve un équilibre. Être Artiste de garde c’est faire des œuvres qui sont en prise avec ces notions-là. Œuvres pleines d’enjeux (en-je) pour qu’il y ait des mots qui soient comme des médicaments, des médecines. Je les appelle les mots-médecins. Je mets des mots et des images-médecines sur mes œuvres, des images-vaccins pour que cela ouvre quelque chose en nous quand on les lit et les regarde. Je fais en sorte que mes œuvres aient le souci d’éveiller nos consciences. Je suis moi-même en recherche de sens comme tous ceux qui veulent s’améliorer. 

 

Des thèmes comme les sexualités, les marginaux, les réprouvés, les animaux, la folie, les pulsions forment un corpus récurrent dans ton travail.  

Oui, c’est mon terreau originel et comme dit Daniel Androvski, « derrière la crasse, il n’y a plus de secret », c’est V.I.T.R.I.O.L., descendre au plus profond et aller chercher tout ce qu’on cache en nous, que l’on veut ou peut difficilement voir sans travailler sur soi. Je ne suis pas dans une démarche militante, je ne veux pas asséner des réalités, agresser l’autre mais je souhaite quitter le conditionnement sociétal qui fait que nous sommes amenés à ne jamais sortir de notre zone de confort. Encore une disposition qui nous empêche d’accéder à la tolérance et à l’ouverture. C’est très dur de voir tous les migrants, les estropiés, les laissés pour compte nous tendre la main, les yeux des animaux dans les abattoirs... On voit tout ce que cela mobilise en nous quand quelqu’un est en détresse et ce que l’on pourrait faire pour lui. Nous avons le choix de le faire ou de ne pas le faire. À un moment, dans nos vies, nous avons tous la possibilité et la responsabilité de ce que l’on a vu, des animaux et des gens que nous avons croisés et qui nous ont sollicité. Sortir de sa zone de confort c’est donner du temps à quelque chose qui n’a rien à voir avec un retour sur investissement. En ce qui concerne les sexualités, nous sommes élevés pour ne pas assumer nos corps et nos jouissances. Comment fait-on pour aimer vraiment? Qu’est-ce que vraiment jouir ? Cela sert-il à quelque chose ? À quoi cela sert-il de se reproduire ? Toutes ces questions qui tournent autour des organes génitaux, de nos sources de plaisir ou de déplaisir ou de reproduction, pourquoi en fait-on quelque chose d'interdit, de meurtrier et de destructeur ? Donner la vie, c’est aussi donner la mort et ce n’est pas une chose négative, au contraire. Socialement, on agit toujours comme si on ne faisait pas partie de ces gens qui sont dans une explosion de pulsions et de sexe alors qu’on vient tous de là. Chaque être humain est le résultat, le produit, la somme d’une addition entre deux êtres différents. Alors maintenant avec l’utérus artificiel, les FIV, on est dans un autre débat de nos origines naturelles mais on a toujours besoin d’un spermatozoïde et d’un ovule, une part femelle et une part masculine. Tout marche comme ça dans la nature, il y a toujours une complémentarité. Les opposés sont un équilibre complice et productif. Les tribus ou catégories uniformisées me font peur. La femme fabrique des hommes et des femmes, des phallus, des vagins… 

 

 

Tu utilises plusieurs médiums pour transposer tout ce que tu défends, peinture, film, dessin, vidéo, installations… Penses-tu que certaines idées doivent être défendues avec un médium plutôt qu’un autre ? Comment choisis-tu ton médium ? 

C’est de la pure intuition. Mes idées arrivent par intuition suite à la perception d’une réalité, ça sonne harmonieux et je le fais. On me dit toujours que mon travail est inclassable, que je suis partout et nulle part… Je considère que mon travail est comme un langage. Chaque médium utilisé est un mot constitutif, une grammaire, je suis obligée d’articuler mon langage autour de cette différence de support pour produire une harmonie transmissible. J’aime cette sensation de liberté, faire ce que je veux avec ce qui est le mieux adapté pour l’exprimer, il suffit parfois de voir juste une couleur, un soleil, des émotions. 

 

Comment expliques-tu la violence avec laquelle certaines personnes réagissent à tes œuvres et tes écrits ? Je pense notamment aux dessins sur la sexualité et à certaines photos. On n’accepte toujours pas qu’une femme parle de sexe. 

Il y a d’abord le fait que je suis une artiste femme qui travaille sur les corps et les sexualités, ce n’est pas du tout la même chose que si j’étais un homme. Il y a toujours ce fonds collectif qui dit qu’une femme ne peut pas s’essayer, s’expérimenter autant qu’un homme. Alors que les femmes ont une histoire temporelle et sexuelle au même titre que les hommes. Il y a toujours ce poids collectif, cette mémoire qui fait que la femme porte toujours le fardeau de son épanouissement intime et personnel même de femme à femme. Je suis très tolérante malgré tout avec ça et je ne me sens pas victime, j’avance coûte que coûte. Ce qui est très intéressant par contre est l’état de choc et de violence que provoque la frontalité de mes dessins qui ne sont ni beaux ni laids. La violence qui en ressort est celle avec laquelle les gens se mentent à eux-mêmes. Leur rejet dévoile outrageusement qu’ils sont ce qu’ils voient. Tout ce qu’ils cachent est face à eux dans les dessins qu’ils regardent. Aujourd’hui il nous est demandé de vivre masqué. Quel signifiant !

 

Il n’y aurait pas non plus la peur de la castration? Ils sont dans la réalité de ta pensée, les sexualités continuent de faire peur et encore plus aujourd’hui, il y a un retour très fort au puritanisme. 

Dès notre naissance, nous sommes sommés d’oublier d’où l’on vient, un déni des origines. Le vrai racisme est là. Les enseignements primaires qui sont transmis aux enfants c’est d’apprendre à lire et à écrire. Apprendre à aimer, à tolérer, à s’épanouir ne fait pas partie des priorités d’une société qui se revendique pourtant ouverte. Quand on brûle des livres, des cultures, qu’on empêche les graines de se reproduire, c’est ce qu’on se fait à nous-mêmes. Nous ne sommes pas les rois de la terre. Nous sommes des êtres pensants, des gardiens. J’aimerais que l’humain ne soit pas là où il en est aujourd’hui. On sait construire, soigner, protéger on sait aussi faire le contraire, on doit veiller à l’autre, porter l’autre. Quand on voit chez l’autre ce qu’il n’arrive pas à faire, à voir, à exprimer, on doit l’aider à mettre de la lumière sur son chemin et les sexualités sont des outils et des perceptions de qui nous sommes. Quand on nous demande à quoi ça sert de jouir ? Cela sert à savoir qu’on est bien avec son partenaire, avec soi-même. La masturbation aussi est une loupe intime de ce qui nous est interdit. On se détend, on fantasme, on fait venir des choses, pour se sentir bien. Mais au contraire quand on parle de faire de la méditation, du sport, ou d’aller chez l’ostéopathe, dans ces domaines, les seins n’existent pas, les fesses, le vagin, la verge non plus. Pourquoi le soin de ces parties est-elle interdite ? 

 

Nous sommes pourtant dans une société qui remet en cause cette conception artisanale de l’être humain…

Je pars du principe que les hommes et les femmes peuvent faire ce qu’ils veulent de leur corps. Les transsexuels sont plus tolérés aux États-Unis qu’en Europe. Un petit garçon qui veut être fille, va être aidé pour qu’il évolue dans un contexte adapté donc moins anxiogène. Ce qui m’intéresse dans ces mutations psychiques, physiques, c’est la question de la liberté et de ses limites, de la source qui nous anime chacun en tant qu’être humain, comment œuvrer pour exister en tant qu’être différent, en dehors de nos attributs sexués utiles pour se reproduire, voir comment une personne se structure dans son psychisme, comment fonctionnent ces images, ces corps, cet imaginaire et l’inconscient dans une société qui propose une ouverture à cet endroit. Quel est le but réel de cette ouverture ? Avancer dans les recherches sur l’U.A., les FIV. Oui c’est une ouverture qui alimente un égrégore collectif pour permettre et rendre légales et légitimes des manipulations génétiques non éthiques à mon sens. Si l’humain tend vers une stérilité certaine, nous pourrions nous interroger sur notre environnement et la qualité toxique des aliments stériles qui nous sont donnés à consommer. Qui eux ne nécessitent pas d’urgence sanitaire au vu des nombreuses maladies et morts comptabilisés chaque année à cause de ces produits non naturels. Les recherches scientifiques sur l’U.A. (Utérus Artificiel) sont extrêmes et cruelles, expérimentées sur les innocents animaux et sur des fœtus humains revendus par un certain réseau institutionnel social qui en ferait pâlir plus d’un. La science ne vaut pas ces sacrifices. La nature et ses lois sont bien faites parfois injustement juste aussi. Apprendre à mourir tôt ou tard.

 

Cela peut aussi rejoindre les opérations de chirurgie esthétiques, parfois extrêmes. On peut aussi parler de transition d’un état « naturel » vers un idéal fantasmé « surnaturel ». 

« À partir du moment où l’on a fait un lifting psychique, l’on peut faire tous les liftings du monde » (Androvski). Dans chaque domaine de l’existence, il y a toujours une dimension pathologique quand c’est fait sans discernement. Les femmes sont souvent victimes d’un certain jeunisme, d’une beauté extérieure, périssable pour certain(e)s. Il faut voir où sont mises les personnes âgées, dans des maisons, cachées… On ne sait pas ce qu’il s’y passe mais on s’en doute aussi. Les femmes se teignent leurs cheveux blancs par injonction sociétale. Les cheveux blancs des femmes continuent de faire peur.  Cet idéal fantasmé en devenant réalité doit trouver sa jouissance. Il n’y a que de la jouissance dans l’interdit. Alors, à ce jour, sur la question humaine, de quel interdit s’agit-il ? Est-il toujours nécessaire de réaliser ses fantasmes ? Pourquoi tend-on à ressembler à des femmes et des hommes qui n’existent pas ? Ces beautés des magazines et du cinéma sont retouchées systématiquement par l'outil informatique. La 3D vient renforcer cette spectaculaire illusion aux visées perverties dans ce cas de figure.

Clotilde Scordia

Paris août-octobre 2020

Mots de la FAIM

Depuis 2 décennies, mon travail s'engage dans des failles communes situées en dehors des conventions des bien-pensance collectives. En-dehors du convenable. Ces failles qui sont puissamment couvertes par des esprits qui ne souhaitent ni comprendre et ni s'ouvrir à autre chose qu'une vision de la vie réduite. Réduite à des nécessités liées a un confort des consommations qui nous endoctrinent à un bien être illusoire. C'est dans ces failles que l'on trouve certains artistes de gardes (pas beaucoup). Rarement expliqué le travail de l'artiste. Un artiste un chercheur permanent. Que cherche t-il?  A partager le sens pris dans la matière qui l'incarnera. Fabriquer un langage, des harmonies, des assemblages qui parlent des sujets choisis autrement qu'avec des mots. C'est un processus qui dure toute la vie. Nous ne sommes pas artistes quand nous avons le temps de l'être. C'est une vie imposée. Un état. Un chemin qui se construit toutes les secondes. Personne ne nous attend. Il y a les hommes, les femmes et les artistes. Il y a ceux qui le sont quand ils ont le temps, ceux qui le sont quand ils n'ont plus de temps et ceux pour qui la notion du temps est secondaire puisque l'art est un organe vital. Faim de l'art, faim de la vie. Curieux mot faim/fin. La peur de la mort et la peur de manquer de nourriture. De la quelle faut il avoir le plus peur? Manquer de nourriture addictive et dégénératrice ou de nourriture de sens qui permet à nos esprits de tenir quelque soit les conditions présentes et futures de nos vies? Je ne veux pas que les animaux meurent. Je ne veux pas tuer des bébés cochons, des veaux, des chevreaux, des agneaux, des poussins pour connaitre cette jouissance morbide de remplir un caddie d'une alimentation dite "variée". Je ne veux pas être leurrée par des conseils nutritifs idiots et pervers comme le calcium du lait des pauvres vaches, des jambons empoisonnés et reconstitués avec des produits qui sont des poisons. Je ne veux pas que les animaux souffrent pour des ventres affamés d'abrutissement parce qu'à la télé les informations de nutritions sont perverties par les dictats monétaires et non de la vraie santé. Des ventres désincarnés qui ne pensent à rien d'autre qu'a prendre leur pied. Que des canards soient violés par le bec, entravés dans des cages immobilisantes. Manger un foi hépatique malade ne dérange personne. Je ne veux pas que les lapins soient dépecés pour faire des capuches ridicules. Qu'on ajoute à cette liste tout un tas de fantaisie alimentaire faite d''animaux qui naissent et qui meurent dans l'enfer des domesticités humaines pour réjouir des ventres qui seront toujours vides. Plus ils rempliront leur ventre de ces immondes homicides plus ils gonfleront. Un peu comme certaine personne qui se gave au déni au prix de tuer les Autres. Qui sont ces Autres? Leurs proches.. La chaine Al-iMENT-Taire - tout est lié - quel drôle de maux.

Prévention ou Prétention

Paris 

Juin 2020

Décorer les salons n'est pas l'objectif de mes recherches artistiques ni de mes propositions plastiques. Mais souligner les partis pris de la vie que chacun à le courage d'assumer dans un contexte conformiste sans tolérance des différences justifient que mes travaux soient mis en demeure..

Certaines personnes se demandent encore quel serait mon intérêt à créer de la beauté ou créer de la laideur en tant qu’Artiste de Garde. Sans parler de ceux qui me comparent aux Chiennes de Gardes ! Mais le pire des non-sens est de confondre la garde artistique avec l’avant-garde. Je suis de garde ici et maintenant 7/7, 24h/24h.

 

Le passé ne se conjugue pas au présent sauf si l'option quantique est acquise. Que garde une Artiste de Garde ? Les lois du cœur dans la vie et dans les œuvres, le respect de toutes les vies, fouiller la terre, la crasse, les perversions, les coulisses peu ragoûtantes et les nuits jusqu’à y discerner l’Or qu’elles contiennent. La beauté de la laideur et la laideur de la beauté. Parce que « derrière la crasse, il n’y a plus de secret *… » Je suis l’opposée de quelqu’un qui croit au bonheur parce qu’être de garde c’est être concerné et en alerte. Concerné par les mouvements d’humeur sismiques de notre monde. Une météo des pulsions s'instaure. Il m’est difficile d’être heureuse car le sort des vivants est bien trop choquant pour « aller bien » dans ce monde où la répartition des droits est à peine juste et où la dictature est travestie en démocratie où la consommation des plaisirs règne en Maîtresse sur ceux qui n’y ont pas accès. Milieu politique et milieu de l’art sont ainsi proches. Il est fâcheux de voir sans cesse que ceux qui ont besoin des artistes sont toujours plein de mépris une fois l’œuvre achevée. Double peine pour les artistes. Les gens de pouvoir préfèrent les décorateurs qui jouent aux artistes. C’est l’effet miroir. Qui se ressemble s’assemble.

 

Dans l'art, aussi bien que dans la vie, la laideur et la beauté co-existent.

Surtout chez les humains oh pas sages ! 

Souvent, mon travail a été jugé inclassable et l’on me conseillait de le rendre plus cohérent, soigné, gentil. En résumé, faire de lui un objet manufacturé qui arrange un certain mensonge institué. On me dit que je suis Partout donc Nulle-Part. Il faudrait alors que mon art réponde à un exercice anthropologique déjà connu et qu’il ne fasse pas intervenir l’esprit, la réflexion. Ainsi, je devrais « recentrer », « limiter » voire « censurer » mon travail ? Ça fait placard. Mon travail n’est pas commode, mon travail est fait pour les Cœurs vivants et il fonctionne bien sur les cœurs naturellement ouverts. Pour les cœurs endommagés au pronostic vital engagé il fonctionne irrégulièrement. Pour les cœurs artificiels c’est mort. Je refuse le recours à l’outil militant-tic parce que l’amour y a perdu sa ferveur. Militer s’est donner de la force à ses oppositions. Donner de la force pour être détruit.  Non. Je préfère être fidèle à mes valeurs et à mes convictions pour affronter un monde qui ne m’attend pas. Je fais ce que je dois faire. Je ne le fais pas pour être CON-tre. Je préfère les additions aux divisions.  N’est-ce pas douteux de faire de l’Art un gréviste? L’Art c’est une conjonction de ressources ultra-sensibles que portent certaines personnes avec harmonie et savoir-faire pour le transmettre. Ce n’est pas un contrat d’embauche avec un syndicat pour la décoration. Les artistes sont souvent « mal-traités », mal compris, un peu comme ceux qui vivent des situations hors normes ou extra-ordinaires et qui ne trouvent ni reconnaissance ni partage avec les humains pour comprendre les reliefs subtils de l’existence terrestre. Mais est-ce une raison pour qu’ils touchent une allocation de faiblesse ? Faut travailler pour son art. Pour qu’il reste libre et authentique. Je ne veux pas être de ces gens-là. Pétrie dans une confusion avec moi-même et les autres et abrutie par la cacophonie des mondanités de passage. Qui sont ces gendarmes de l’Institution formatés à élire des artistes qui n’en sont pas ? Qui sont ces beaux-arts actuels qui forment des artistes à une propreté des œuvres et des langages ? 

Ma rébellion prend ses racines dans une enfance conventionnelle, décorée par la consommation et les faux sourires quand rien ne va plus. Quand on veut que vous alliez bien quand ça ne va pas. Où tout le monde court après le sexe mais faisant comme si queue non. Quand on veut que vous soyez normal quand vous êtes différents. Certains se perdent dans la drogue et sont montrés du doigt, jugés, piétinés. Ces juges-là sont des toxicos, eux aussi, à la connerie, au déni, à la compulsion, à l'acharnement de ne jamais se reconnaitre, à obéir à des fondements qui ne leur appartiennent pas. Un peu comme ces caissières qui font de la rétention de sacs quand on a déjà payé. La police est partout. Le juge-ment aussi. 

 

Je suis une Gardienne en blouse à fleur qui voudrait que les humains soient des Gardiens (enjeux). Les humains, avec leur intelligence, savent mettre du chaud là où il y a du froid, du froid où il y a du chaud. Ils savent construire pour protéger, se parer aux catastrophes naturelles. Ils savent soigner avec les mains et l’esprit. Ils ne sont pas obligés de manger de la viande. Ils ne sont pas obligés de manger tout le temps. Ils ne devraient pas tuer les bébés animaux. Ils ne sont pas obligés de détruire la planète et les vies qu’elle porte. Pourquoi le font-ils ? Ils doivent créer. Les humains sont des créateurs potentiels. 

 

Je n'estime pas que les artistes doivent être payés parce qu'ils sont artistes. La rémunération de son travail vient du fait qu’il y a un travail accompli et utile pour les Autres et qu’il a trouvé sa place. La qualité d’une œuvre se mesure à son investigation et son incarnation. La récompense monétaire d’un état a du sens dans les domesticités collectives où le dressage d'une certaine misère est de mise. J'ai la chance de ne pas être née Tigre dans les faux paysages sauvages de la pauvre Afrique colonisée par la bêtise économique des blancs tout-puissants, de ne pas être née en Érythrée pour sa géopolitique esclavagiste, de ne pas être née Vache à lait qu’on viole, à qui on vole l’enfant pour pomper son lait et qu’on tue une fois usée par les gestations à répétition. Ceux qui ont déjà vu une Vache laitière en fin de parcours savent de quoi je parle.  Ceux qui ne veulent pas voir continuent de manger des produits laitiers sans conscience.

 

Mes œuvres ne sont pas classables parce qu’elles ne sont pas faites pour ça. Mes œuvres sont comme une langue étrangère complexe parce que minoritaire et peu pratiquée. La polymorphie est à mes arts ce que les mots sont à la grammaire des langues des différents mondes de la terre. Le jour où mon travail sera classable c’est qu’il aura terminé son Œuvre (accomplissement). L’objectif de mes recherches traduites en images de différentes formes, dessins, photographies, vidéos, sculptures, musicales, sonores, performances est de provoquer des prises de consciences. Mon seul souci est d’élaborer un corpus pour exprimer des prises de consciences autour de ce que nous ne voulons pas voir et que nous devrions voir pour mieux connaitre l’origine de nos perversions et ainsi les dépasser pour un autre monde. 

 

Je trouve la Vérité et la Réalité bien plus enrichissantes à mon éveil et à celui des Autres. Le marketing du sexe, de l'Amour, de la Mort et de cette fâcheuse esthétique relationnelle ne me concernent pas. Ça ne m’apporte rien. C’est un leurre, une illusion.

 

Mon chemin, en tant qu'être humain, façonné par mon enfance, mes choix d'adulte bons et mauvais, est mon seul et unique voyage aux 5 sens dont je peux et pourrais en être le reporteur. Les œuvres que je produis sont issues de ces mondes divers (d’hiver), de ces coulisses que j'ai pénétrées, expérimentées, étudiées, digérées. Mes œuvres sont des carnets de note, de voyages qui n'intéressent pas tout le monde mais qui ont le mérite d'inspirer. De redonner un souffle. Laisser une trace artistique qui donne envie de vivre, d'exister, de ne plus se mentir pour accueillir les mondes qui nous sont offerts sur terre avec respect et réalisme. 

 

Il faut des personnes peureuses dans une communauté dédiée à une cause pour que d’autres puissent être fortes. Il faut des personnes mauvaises pour que d’autres puissent être justes ou l’inverse. Alors, le but de cette dualité invincible du matin et du soir, de la beauté et de la laideur, de la bienveillance et de la malveillance quel est-il ? Le but est de reconnaitre ses intentions réelles et les ressources que nous prenons soin de développer sans s’identifier aux autres, sans les plagier. Devenir Auteur, devenir Artiste sans voler (s’envoler) à d’autres leur recherche, leur univers, leur identité. Mon but, être la Voix de ceux qui n’en n’ont pas, être éthique, être juste, ne pas tuer les animaux, apprendre à reconnaitre toutes formes d’existences de tous les règnes, révéler la mauvaise foi, les mensonges meurtriers, respecter la vie et surtout respecter la Création. Défendre la réalité que portent les processus de créations, à quoi ils servent en dehors de cette mondialisation institutionnalisée de l’art qui markette une culture artistique à laquelle je n’adhère absolument pas. Ces attitudes excentriques d’artistes qui sont artistes pour en être, qui décident un jour d’être peintre. Un artiste est prisonnier de sa création,  il n'a pas le choix. On ne décide pas d'être artiste mais ont peut décider de ne pas l'être. Cette décision coûte chère. Ces décorateurs qui pompent inlassablement ceux qui créent sans pomper. Ces artistes de toutes les couleurs (clowns) qui sont les bouffons et les bouffonnes d’une société qui les utilise. Je ne veux pas être utilisée donc je ne jouerai pas ce jeu minable et rabaissant. Cette culture de l’art joli, coloré, riche et confortable qui dénigre l'Autre. Cet art-là est aimé par des personnes qui n’aiment ni les différences, ni les questions de fond. Un artiste qui fait de l’art pour gagner de l’argent, ce n’est pas un créateur, c’est un bon élève, un créatif. Un artiste produit son art quelles que soient les conditions de sa vie. Pour produire mon art dont je suis l’esclave, je me mets en situation de gagner de l’argent sans compter sur ma création. Elle doit rester intacte à toute fusion et identification à des tendances qui comme nous ne font que passer dans ces temps incertains et divisionnaires. J’ai choisi de vivre mon Art pas de vivre de mon Art. C'est très différent. Un jour une artiste m'a écrit " tu as décidé de gagner ta vie autrement". Comme le dit Patrick Burensteinas, "sa vie on l'a déjà gagné, à partir du moment où nous naissons ont l'a gagné". Exister c'est autre chose. Oui je veux gagner mon existence dans le temps qui  m'est donné. Gagner, réussir c'est gagner de l'argent?

Non, réussir sa vie c'est démêler ses affects et tenter de passer les épreuves chaotiques avec honneur, sans compromettre son éthique avec les Autres. 

 

Ma culture c’est la vie, mes expériences, mes différents rôles. 

Comme je le disais, je préfère les additions aux divisions. Ce texte est l’addition de mon partage artistique avec Daniel Androvski, Psychanalyste et Écrivain et Clotilde Scordia, Historienne de l’Art et commissaire d’Exposition, pour leur précieux soutien et apports à mes écritures engagées et enragées.  

 

Qui m'aime me suive. Mes yeux n'ont pas froid et je peux réchauffer beaucoup d’yeux… !

 

Aurélie Dubois

 

*Daniel Androvski, Psychanalyste et Ecrivain, extrait du texte L’Irréparable de la Vie qui accompagne le court métrage The Corridors

Le Temps et l'Art

Topos Project

Paris-Londres

avril 2020

Nous pourrions nous demander ce que l’art dit du temps et ce que le temps fait à l’art ? L’œuvre est-elle figure du temps? Qu’apporte l’acte de créer au temps? Et qu’emprunte l’acte créateur dans le temps ? Dans notre temporalité humaine ? 

 

« Amour écrit en fer » est une court métrage expérimental dédié aux réprouvés. Les esprits conformes et non-conformes partagent-ils le même espace-temps? Les normés sont interrogés comme des faiseurs d’éternité, les anormaux sont relégués au temps qui reste à ceux qui se donnent le loisir d’en être au moins un peu curieux.

 

Le rôle du personnage est « Human Behavior »: dysmorphique, schizoïde, travesti.  Il incarne une dualité en une seule et même personnalité. Une éclosion explosive de vie et de mort s’offre à notre regard. Il a des aspirations de jeunesse mais il est âgé. Il a des aspirations de beauté mais nous pourrions le trouver laid. Il accouche d’une fausse couche. Il a des aspects d’une liberté extrême et d’un confinement destructeur. Il s’habille avec une élégante vulgarité et une innocence déflorée.  Un duel interne abyssal.

 

Une endurance mentale obligée. Qui dit endurance dit tenir dans un temps ou bien tenir ce temps? Mais qu’est ce qui passe réellement ?  Le temps ou nous, êtres humains? Comme le dit Daniel Androvski, Psychanalyste et Écrivain, ce n’est pas le temps, mais nous qui ne faisons que passer. Alors toute la question est là : pourquoi pensons-nous le contraire?

 

Quelle couleur a le temps ?  A-t-il un langage, a-t-il une forme?

Peut-être que les œuvres d’arts pourraient être des concentrations  de temporalité? Des témoins, des traces d’êtres chargés d’empreintes, un espace dont ils seraient les représentants?

 

L’espace-temps pour un artiste est la manifestation de sa création. Comme le dit Gilles Deleuze dans son Abécédaire : « le seul véritable événement c’est l’œuvre d’art ». L’œuvre d’art est un marqueur temporel, une empreinte chronologique. A l’inverse des informations médiatiques  qui sont pour le coup des illusions qui voudrait prendre rôle de la création, de l’expression.

 

Dans « Amour écrit en fer », il est question de l’âme et du corps. D’obéissance et de désordre. Le texte « Théorème » de Pier Paolo Pasolini joue le rôle de « l’explication » de la nécessité de créer son existence plutôt que de passer ce temps sans réelle conscience. Face à ce personnage et sa situation folle et inattendue nous sommes, dans nos conformités, perdus. Ce n’est ni un homme, ni une femme. Ce personnage, ce mutant, délimite son espace intérieur et extérieur au moyen de déambulations intérieures et extérieures : jardin - maison - jardin, etc.

 

Ce cours métrage nous fait entendre que nous réclamons de la beauté pour supporter ce corps et cet esprit en détresse. Quel temps nous reste-t-il pour créer un espace plus ouvert, plus généreux, plus précieux en nous même avec les Autres? Parce que l’Un ne va pas sans l’Autre pour cette traversée terrestre mesurée en unité de temps.

 

Aurélie Dubois

Les Yeux n'ont pas Froids

Paris

février 2014

Nos yeux n'ont pas froid, ils peuvent rester ouvert à l'horizon, au plus loin du plus proche, mais aussi au plus éloigné du prochain. Qui est notre prochain ? Notre prochain amour, notre prochain meurtre ? Car est-il nécessaire de rappeler que malgré l’attention apparemment constante que nous portons à notre prochain, nous torturons, nous tuons. Et pourtant nos paupières restent sourdes d'autant de cadavres d'hommes et de bêtes. Nos yeux restent glaciales et persistent à soutenir du regard l'insoutenable, oui nos yeux n'ont jamais froid même quand leurs larmes ressemble à de douteuses stalactites. Nos yeux n'ont jamais froid car ils sont la concrétisation calcaire tombante de notre dysharmonie avec le monde, pouvant rendre sourd les aveugles et aveuglé les muets de leur face-à-face avec le silence. Les plus beaux yeux du monde ne sont ni bleus, ni noirs, ni marrons, ils sont ceux des êtres qui n'ont même plus la force d'implorer quelque sursaut d'humanité aux bourreaux qui les tortures, lâchement terrés dans les prisons, les camps, les abattoirs.

Daniel Androvski & Aurelie Dubois

Texte rédigé pour la diffusion de l'ACR (Atelier de Création Radiophonique de Radio France) Silence | Elle crie

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